Imaginez-vous en plein cœur d’un quartier inconnu. Votre cellulaire est à plat, votre voiture est en panne, et vous cherchez désespérément le garage le plus près. Des passants tentent de vous venir en aide, mais leurs indications sont contradictoires. L’un deux semble venir du coin et parle d’un ton nonchalant, tandis que l’autre, visiblement sûr de lui, parle haut et fort, mais a un accent à couper au couteau. Auquel des deux ferez-vous confiance? D’après une , la personne qui s’exprime avec un accent aura plus de mal à gagner votre confiance, à moins qu’elle parle d’un ton assuré. Et ce n’est pas tout: votre décision de lui faire confiance ou non mobilisera des régions différentes du cerveau selon que vous percevez votre interlocuteur comme un individu «intragroupe» ou un individu «hors groupe» (par exemple, un locuteur d’un autre groupe linguistique ou culturel).
Marc Pell, professeur Ă l’École des sciences de la communication humaine de l’UniversitĂ© 91ÉçÇř et auteur en chef, explique la raison d’être de cette Ă©tude :
« Il doit y avoir autour de deux milliards de personnes dans le monde dont la langue seconde est l’anglais, et nous sommes nombreux à vivre dans des sociétés multiculturelles. Pour déterminer si un interlocuteur différent de nous est digne de confiance, nous l’observons de très près et nous prêtons attention à sa voix. Notre objectif ici était de mieux comprendre comment nous prenons cette décision en nous fiant uniquement à sa voix. »
Les chercheurs ont constatĂ© qu’en règle gĂ©nĂ©rale, nous avons un prĂ©jugĂ© favorable envers les personnes de notre groupe; par le fait mĂŞme, l’accent complique l’évaluation de la crĂ©dibilitĂ© d’un interlocuteur. Autre constat: les rĂ©gions cĂ©rĂ©brales qui s’activent lors de ce processus dĂ©cisionnel ne sont pas les mĂŞmes selon que l’interlocuteur est une personne «intragroupe» ou «hors groupe». Dans ce dernier cas, en effet, le cerveau doit effectuer des opĂ©rations supplĂ©mentaires pour rĂ©soudre le conflit entre le prĂ©jugĂ© dĂ©favorable causĂ© par l’accent (łľĂ©´Úľ±±đ-łŮ´Çľ±!) et la grande assurance qui se dĂ©gage de l’interlocuteur (il semble savoir de quoi il parle…).
L’assurance, gage de crédibilité
Cela dit, les chercheurs ont également découvert que si un interlocuteur ayant un accent régional ou étranger parle d’une voix très assurée, ses propos seront jugés aussi crédibles que ceux d’un locuteur natif.
« J’en conclus donc qu’à l’avenir, j’aurai sans doute intĂ©rĂŞt Ă parler d’un ton très assurĂ© pour qu’on ajoute foi Ă mes propos, quelle que soit la situation», lance , auteur principal de l’étude. Notons que l’anglais est la langue seconde de cet ancien boursier postdoctoral Ă l’UniversitĂ©91ÉçÇř, aujourd’hui professeur agrĂ©gĂ© Ă l’UniversitĂ©Tongji. «Les personnes qui ont un accent devraient prendre bonne note de ce constat, qui pourrait les servir dans tous les aspects de leur vie, notamment au travail, dans les Ă©tudes ou devant la justice. »
Écoutez les trois phrases suivantes. Quel interlocuteur vous semble le plus crédible?
Des études antérieures ont révélé que nous sommes plus enclins à croire une affirmation si elle est énoncée d’un ton assuré (voix forte, ton bas, débit rapide) plutôt que d’une voix hésitante. Les régions du cerveau mises à contribution dans ce processus décisionnel sont-elles différentes lorsque l’interlocuteur a un accent différent du nôtre? Voilà ce que les chercheurs ont voulu savoir.
Ils ont ainsi constaté qu’en présence d’un locuteur ayant un accent identique au sien, l’auditeur peut se fier uniquement au ton de voix pour déterminer s’il a affaire à une personne crédible ou non. En pareil cas, les aires cérébrales activées (situées dans le haut du lobe pariétal) étaient celles qui permettent de faire des déductions à partir d’expériences antérieures. En revanche, pour prendre cette même décision à l’égard d’un interlocuteur «hors groupe», le cerveau s’en remettait davantage aux zones assurant le traitement des informations auditives (situées dans la région temporale). Il semble donc que pour déterminer s’ils pouvaient accorder crédit à leur interlocuteur ayant un accent, les auditeurs devaient suivre un processus en deux étapes, à savoir prêter attention non seulement aux sons produits, mais également au ton de voix.
Les zones rouges (circonvolution pariétale ascendante droite et circonvolution pariétale supérieure gauche) s’activaient lorsque l’auditeur jugeait de la crédibilité d’un interlocuteur «intragroupe», et les zones bleues (lobe temporal supérieur des deux hémisphères), lorsqu’il statuait sur la crédibilité d’un locuteur «hors groupe».
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Les participants (tous de langue maternelle anglaise canadienne) ont écouté une série de courts énoncés neutres exprimés sur des tons divers– parfois très assurés, parfois moins– et dans des accents divers– parfois très connus (anglais canadien), parfois moins (anglais australien et anglais parlé par un francophone du Canada). Ils devaient évaluer la crédibilité de chaque énoncé. Pendant l’écoute, on enregistrait l’activité cérébrale de l’auditeur au moyen d’une technique d’imagerie appelée «IRMf» afin de déterminer si l’écoute d’un interlocuteur «intragroupe» activait les mêmes régions que celle d’un interlocuteur «hors groupe», et ce, tant en général que selon le ton de voix.
Cette Ă©tude a Ă©tĂ© financĂ©e par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en gĂ©nie du Canada, une bourse James 91ÉçÇř et la bourse d’études McLaughlin de l’UniversitĂ©91ÉçÇř.
L’article «Neural architecture underlying person perception from in-group and out group voices», par XiaomingJiang, RyanSanford et MarcD.Pell, a été publié dans la revue .
Personnes-ressources
Marc Pell, École des sciences de la communication humaine, UniversitĂ© 91ÉçÇř, marc.pell [at] mcgill.ca (entrevues en anglais seulement)
Katherine Gombay, Relations avec les mĂ©dias, UniversitĂ©91ÉçÇř
katherine.gombay [at] mcgill.ca, 5143982189