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De simple fourmi Ă  fourmi soldat

Ouvrière minor (à droite) et fourmi soldat (à gauche) chez les Pheidole. Photo : © Alex Wild

Les scientifiques ont percé un mystère dont la clé échappait à Charles Darwin– la diversité de taille et de proportion chez les fourmis ouvrières.

  • Ils ont Ă©lucidĂ© le mĂ©canisme qui prĂ©side au dĂ©veloppement des fourmis soldats et au maintien de l’équilibre entre les castes de fourmis ouvrières.
  • Ils ont Ă©galement dĂ©crit le rĂ´le crucial d’un «organe» rudimentaire en apparence sans intĂ©rĂŞt qui apparaĂ®t de façon transitoire au cours du dĂ©veloppement des fourmis soldats.
  • Les organes «rudimentaires» Ă©phĂ©mères sont en fait des tissus qui se forment pendant le stade embryonnaire du dĂ©veloppement d’un organisme. Ce sont les vestiges d’un organe plus dĂ©veloppĂ© prĂ©sent chez un lointain ancĂŞtre.
  • La colonie rĂ©gule la prĂ©sence de ces organes afin de maintenir constant le rapport entre le nombre de soldats et celui d’ouvrières minor au sein de la sociĂ©tĂ© de fourmis.

Des scientifiques de l’UniversitĂ© 91ÉçÇř ont percĂ© un mystère dont la clĂ© Ă©chappait Ă  CharlesDarwin. L’incapacitĂ© du cĂ©lèbre naturaliste Ă  rĂ©soudre ce mystère l’avait mĂŞme poussĂ© Ă  remettre en question sa propre thĂ©orie de l’évolution. Ayant formulĂ© cette thĂ©orie en partant du principe selon lequel la sĂ©lection naturelle s’effectue Ă  l’échelle de l’individu, qui lutte pour survivre et se reproduire, il se demandait comment une simple colonie pouvait produire des fourmis ouvrières prĂ©sentant une telle diversitĂ© de taille– qu’il s’agisse des ouvrières minor, qui ont une petite tĂŞte et un corps peu volumineux, ou des fourmis soldats, qui se distinguent par leur grosse tĂŞte et leurs gigantesques mandibules– particulièrement si, comme les fourmis du genre Pheidole, elles sont stĂ©riles. La rĂ©ponse? Selon un article publiĂ© aujourd’hui dans la revue , la colonie gĂ©nère elle-mĂŞme des soldats et assure l’équilibre entre le nombre d’ouvrières soldats et minor grâce Ă  un «organe» rudimentaire en apparence sans intĂ©rĂŞt qui apparaĂ®t de façon transitoire au cours des derniers stades du dĂ©veloppement larvaire uniquement chez certaines fourmis: celles qui deviendront des soldats.

«Il s’agit d’une dĂ©couverte tout Ă  fait inattendue. Des scientifiques avaient remarquĂ© qu’un "organe" rudimentaire en apparence sans intĂ©rĂŞt apparaissait soudainement au cours du dĂ©veloppement des fourmis soldats, puis disparaissait. Ils avaient alors prĂ©sumĂ© que ce phĂ©nomène survenait sous l’effet des hormones et de l’alimentation, qui permettent aux larves de se transformer en soldats», explique EhabAbouheif, du DĂ©partement de biologie de l’UniversitĂ© 91ÉçÇř et auteur en chef de l’étude.

RajendhranRajakumar, auteur principal de l’étude, ajoute: «Nous avons découvert que ces “organes” rudimentaires n’apparaissent pas sous l’effet des hormones et de l’alimentation, mais que ce sont eux qui président à la création de soldats. Leur présence transitoire régule la croissance rapide de la tête et du corps des soldats qui, au terme de ce processus, présentent une énorme tête, de gigantesques mandibules et un grand corps.»

Il y est… oups, il n’y est plus!

Le PrAbouheif étudie les ailes des fourmis depuis 23ans. Il s’intéresse particulièrement au rôle du disque imaginal de l’aile, structure qui apparaît de façon transitoire au cours des derniers stades du développement larvaire chez les fourmis soldats, et ce, même si ces dernières sont en fait dépourvues d’ailes. Pendant neuf ans, le biologiste et son équipe ont étudié cette structure en laboratoire. Ainsi, à l’aide de diverses techniques chirurgicales et moléculaires, ils ont coupé des parties de ces disques rudimentaires chez des larves de fourmis soldats du genre Pheidole, dont les espèces sont très répandues et diversifiées. Les chercheurs ont découvert qu’ils influaient ainsi sur la croissance de la tête et du corps des insectes. Ils ont également découvert qu’ils pouvaient moduler la taille des fourmis soldats en coupant à divers degrés les disques imaginaux des ailes, cette intervention se traduisant par une réduction correspondante de la taille de la tête et du corps des insectes. Les travaux de ces chercheurs montrent pour la première fois le rôle crucial des disques imaginaux de l’aile dans le développement des fourmis soldats.

La mission des fourmis soldats: maintenir l’équilibre au sein de la colonie 

Les chercheurs ont en outre dĂ©couvert que l’ensemble de la colonie maintient l’équilibre entre le nombre de fourmis soldats et d’ouvrières minor en assurant la rĂ©gulation de la croissance des disques rudimentaires des ailes chez les larves. Des Ă©tudes prĂ©cĂ©dentes avaient dĂ©montrĂ© que le rapport entre le nombre d’ouvrières minor et de soldats demeure relativement constant dans toutes les colonies de fourmis du genre Pheidole, soit de 90 Ă  95% de minor et de 5 Ă  10% de soldats. Les chercheurs de l’UniversitĂ© 91ÉçÇř ont dĂ©couvert que les fourmis soldats maintenaient ce rapport constant en stoppant la croissance du disque rudimentaire des ailes au moyen d’une phĂ©romone inhibitrice lorsque la colonie comptait trop de soldats. Cette dernière peut toutefois augmenter très rapidement le nombre de fourmis soldats lorsqu’une menace pèse sur elle ou que le nombre de soldats chute pour une raison quelconque, car les disques rudimentaires des ailes n’apparaissent qu’au cours des derniers stades du dĂ©veloppement larvaire.

Fourmi ouvrière minor (à gauche) et fourmi soldat (à droite) du genre Pheidole. Au centre, on observe un individu intermédiaire chez lequel la croissance des disques rudimentaires de l’aile a été stoppée après la sécrétion d’une phéromone inhibitrice par des fourmis soldats. Photo : © Hugo Durras

Les organes rudimentaires: plus importants qu’on le croyait?

À la lumière de la découverte réalisée par son équipe chez la fourmi, le PrAbouheif évoque la possibilité que ces organes rudimentaires puissent jouer un rôle beaucoup plus important qu’on le croyait sur le développement d’un organisme. «On croyait jusqu’ici que ces organes n’avaient plus aucune fonction et qu’ils témoignaient simplement d’un processus évolutif et de l’existence d’ancêtres communs. Maintenant que nous avons mis au jour le rôle crucial des disques rudimentaires de l’aile pour les colonies de fourmis du genre Pheidole, nous devons revenir en arrière et examiner d’autres organes rudimentaires à la lumière de ces nouvelles connaissances. Qui sait ce que nous allons découvrir?»

Cette étude a été financée par des bourses de recherche de l’Institut KonradLorenz, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et une bourse Guggenheim.

ł˘â€™a°ůłŮľ±ł¦±ô±đ «Social regulation of a rudimentary organ generates complex worker caste systems in ants», par Rajendhran Rajakumar etcoll., a Ă©tĂ© publiĂ© dans la revue Nature 

Liens


Contacts

Ehab Abouheif
DĂ©partement de biologie, UniversitĂ© 91ÉçÇř
ehab.abouheif [at] mcgill.ca
(Entrevues en anglais et en français)

Katherine Gombay
Relations avec les mĂ©dias, UniversitĂ© 91ÉçÇř
katherine.gombay [at] mcgill.ca
514-398-2189

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